Colloque inaugural du projet ANR Agôn

Speaker: Alain Viala , Alexis Tadié , Kate Tunstall , Wes Williams , Alain Cantillon , Théodora Psychoyou , Katie Scott , Stéphane Van Damme

Compte-rendu rédigé par Jeanne-Marie Hostiou, avec la participation de Claire Gallien et Mathilde Bernard.

Session 1

Alain Viala : « Les querelles littéraires du XVIIe siècle »

Le XVIIe siècle est un « siècle de querelles » : l'étudier en tant que tel permet d'envisager l'histoire littéraire de la période sous un jour nouveau. Cette expérience avait été menée lors d'un premier séminaire, à Paris, en 1996 au cours duquel un premier protocole commun d'analyse avait été mis en place, où les « querelles » apparaissaient comme un cas particulier de « dispute » ou de « polémique », impliquant trois étapes : une plainte, une réponse, un jugement. Les querelles sont essentiellement polymorphes. Les étudier implique de repérer : le groupe concerné, la durée et l'ampleur des textes, le domaine évalué. Elles sont nécessairement littéraires puisque elles se font au moyen de l'écrit. Mais les querelles littéraires ne sont jamais exclusivement littéraires, elles glissent d'un domaine à un autre.

Le fonctionnement des querelles est lié aux institutions : dans une querelle, les conflits portent à la fois sur des normes sur des pouvoirs (symboliques, politiques.). C'est pourquoi l'analyse d'une querelle implique qu'on se demande : qui sont les querelleurs ? À qui s'adressent-ils ? Quelles sont leurs stratégies ?

Les querelles jalonnent l'innovation : elles sont liées à la création. Elles produisent des textes qui sont pris dans des chaînes d'action. Les querelles créent des « cas » et un imaginaire de la querelle.

Alexis Tadié : « From Querelle to Quarrell »

Le fonctionnement de la vie littéraire apparaît comme une longue série de controverses qui gagnent à être abordées dans une perspective comparatiste. C'est le cas pour la querelle des Anciens et des Modernes qui est ici prise pour exemple. Plus précisément, il ne s'agit pas seulement de considérer que la querelle est exportée vers l'Angleterre, mais de regarder avec précision quels sont ses modes de diffusion, de traduction, de réappropriation, etc. Les enjeux qui lui sont spécifiques en Angleterre, les relais sur lesquels elle s'appuie permettent de faire apparaître la dimension locale des querelles au sein d'un débat à échelle européenne. Les superpositions chronologiques, les débats locaux, les publications permettent de former une meilleure idée de la dimension anglaise de la querelle, dans ses rapports avec la France.

Session 2 (Président : Nicholas Cronk)

Kate Tunstall : « 'No it isn't, yes it is' : vers une définition de la querelle »

Le visionnage d'un extrait des Monty Python (« The Argument Clinic », 1972) permet de soulever quelques questions : qu'est-ce qu'une dispute ? une contradiction ? une argumentation ? Pourquoi se dispute-t-on : pour gagner ? par plaisir de se quereller ?

Un travail sur le lexique et sur les premiers dictionnaires de langue française permet d'opérer quelques distinctions :

  • La dispute se tient principalement à l'oral, en latin ou en français. Elle trouve ses origines dans l'exercice de la comptabilité avant d'être codifiée comme exercice rhétorique de « disputatio » et de devenir un divertissement de salon. C'est une activité à la fois académique et mondaine qui ne porte pas sur des sujets prédéfinis. En principe, la dispute nécessite un arbitrage, lequel y met un terme. Les buts recherchés par la dispute : une reconnaissance académique, la recherche de la vérité, un plaisir social.
  • La controverse se tient à l'écrit et à l'oral, en latin ou en français, principalement dans les écoles, les collèges ou les académies. Elle porte principalement sur des sujets de théologie, et elle est arbitrée par l'institution.
  • La querelle peut être écrite ou orale, plutôt en français qu'en latin. C'est une pratique moins digne, et plus féminine. Elle peut être rapportée à un propos judiciaire ou anecdotique. Les dangers qu'elle présente : l'aigreur, le vacarme.
  • Comment le mot « querelle » est-il devenu le mot retenu pour étudier l'histoire littéraire ? Il faut penser à l'impact de l'ouvrage d'Irail, Les Querelles littéraires.

Wes Williams, « What's in the case ? »

Le visionnage d'un extrait de Pulp fiction, le film de Tarantino, permet de poser quelques questions sur le « cas » : qu'est-ce qu'un « cas » ? Qu'y trouve-t-on ? Où le trouve-t-on ?

  • Attention : les mots « cas » et « case » sont des faux amis (cf. Cotgrave, 1611).
  • Le sens du « cas » est souvent lié à l'adjectif auquel il est associé - cas fortuits, cas royaux, cas de conscience.
  • Le « cas » est transdisciplinaire : c'est un événement inexplicable - une porte ouverte aux discours de spécialistes qui s'opposent (théologiens, médecins, juristes.).
  • Que trouve-t-on dans le cas ?
    • Sur « Gallica XVIe siècle », le « cas » est principalement un événement anecdotique lié à des affaires juridiques (cas fortuit, digne de recordation, merveilleux, cas de précédence plaidé en audience publique.).
    • Sur « Gallica XVIIe siècle », le « cas » est lié, de plus en plus, à des question religieuses et juridiques. Au début du XVIIIe siècle, se multiplient les « cas de conscience » : « cas » exposés afin d'être résolus.

Les premiers dictionnaires de « cas » s'occupent de ces « cas de conscience » (Dictionnaire de cas de conscience, Basle, 1736).

Session 3 (Président Richard Parish)

Alain Cantillon : « Pascal et Port-Royal : controverses religieuses et écrits 'littéraires' »

Pascal est une figure de querelleur : « Rien ne nous plaît que le combat ». La dispute et le combat apparaissent comme l'une des formes du « divertissement » pascalien.Que fut Pascal (non comme personne ou auteur, mais comme persona) dans le combat à Port Royal, entre la fin de la Fronde et la première décennie du règne personnel de Louis XIV ? Ceci pose la question de la condition d'effectivité des querelles et des puissances querelleuses des écrits.

Blaise Pascal comme génie de la querelle.

Dans les Expériences nouvelles touchant le vide (1647), Pascal donne la production d'un écrit scientifique comme objet polémique. La querelle, par sa propre force, sert de moteur au développement de la recherche.

Dans l'épisode du Traité de l'équilibre, Pascal apparaît également comme une force d'opposition et de combat pour la vérité.

La vie de Pascal se termine par une équivoque (est-il mort en chrétien ?) qui est une façon de creuser la querelle à l'intérieur de Port-Royal.

Qu'est-ce que ce querelleur fait sur la dispute religieuse ?

Sa particularité est « littéraire » - qu'entend-on par là ? Avec Les Pensées, Pascal invente un nouveau mode d'intervention publique, déjà tenté avec Les Provinciales. Mais dans Les Provinciales, l'auteur est anonyme, caché et libre. Dans Les Pensées, le génie de la querelle littéraire peut-être mis, post-mortem, en action.

Théodora Psychoyou et Katie Scott, « Intellectual Property and the Culture War of the Ancients and Moderns ».

Enjeux musicologiques dans l'opposition Anciens et Modernes.

Les premiers symptômes de la Querelle des Anciens et des Modernes se situe bien avant la querelle officielle des années 1680. La position de la musique parmi les arts est singulière dans ce débat : parce que la musique est à la fois un art et une science, et parce qu'on ne connaît pas la musique des Anciens.

Cette double spécificité entraîne plusieurs circonstances sur les arguments des Modernes à propos de la musique, notamment la démystification des effets de cette musique réputée merveilleuse et miraculeuse.

Quel est le lien entre la montée de la musique baroque et une nouvelle conception, rationalisée, du monde ?

Les principaux points de crise qui permettent de repenser la musique sont : une mise en crise de la conception universelle de l'harmonie ; l'invention d'une logique quantitative, par opposition à une logique proportionnelle (on invente la barre de mesure) ; la mesure du temps trouve sa place dans les traités de musique ; mise en question des autorités du passé (notamment d'Aristote).

Les Anciens proposent de transgresser les normes de la Renaissance pour retrouver les normes antérieures, qui sont pourtant peu connues et quasi mythiques.

Modern laws for Ancien arts

Les querelles nous permettent de comprendre le développement du statut de l'artiste peintre, où les sujets litigieux sont nombreux autour d'enjeux concernant les privilèges et les droits d'auteurs. Avec un privilège, l'invention devient matériellement profitable ; mais les privilèges créent aussi les conditions de situations litigieuses.

Pendant la querelle du dessin et du coloris qui se tient pendant les quarante dernières années du XVIIe siècle, les arguments du débat sont les mêmes que ceux convoqués un siècle plus tôt, en Italie. Mais ce débat prend une tournure différente en raison du statut accordé au dessin par l'Académie.

Stéphane Van Damme, « Controverses intellectuelles : de la violence symbolique à la volonté de savoir »

Quel est le modèle heuristique de la controverse scientifique tel qu'il s'est développé dans l'histoire des sciences depuis les années 1980 ?

Ce modèle s'est développé afin de faire une sociologie historique de la connaissance (école d'Edinburgh), pour éviter le modèle d'une histoire idéaliste ou matérialiste des sciences, et afin de faire ressortir une dimension polémique dans l'histoire des sciences.

Un telle stratégie d'enquête permet de :

  • ne pas définir d'emblée ce que c'est que la science mais mettre au jour comment les acteurs produisent des définitions.
  • mettre l'accent sur la discontinuité et sur des contextes d'irruption de l'innovation scientifique.
  • d'accéder à une documentation souvent importante, à ce qui fait problème dans un énoncé scientifique pour mettre en évidence les opérations intellectuelles.
  • rompre avec une histoire des progrès scientifiques qui ne s'intéresserait qu'aux vainqueurs ou aux découvreurs.
  • adopter une démarche processuelle, dans le temps (les sciences en train de se faire).
  • mettre en valeur la violence symbolique entre les acteurs.
  • mobiliser le concept d'étrangeté, très marqué chez ces historiens des sciences.
  • faire surgir, finalement, une série de moments et de tensions qui permettent de renouveler l'écriture et l'interprétation de l'innovation scientifique.

La forme « controverse » est spécifique : son rapport avec la forme « affaire » ne donne pas lieu à une véritable opposition mais à une série de tensions. Dans la forme affaire, l'espace est ouvert et la parole se donne comme publique, sortant d'un espace confiné (espace académique). La forme affaire serait liée à des pratiques de publication, qui mobilisent des cercles plus larges que ceux de la controverse.

Comment faire l'histoire des controverses ? Faut-il en faire une approche morphologique (et discontinuiste) ? typologique ? chronologique ? (c'est-à-dire qui essaierait de penser l'historicité des controverses - y a-t-il un « âge d'or » de la controverse scientifique ?)