Lunch Seminar (2): La première modernité dans les disputes d'aujourd'hui, à propos de P. Sollers

Speaker: Alain Viala

(Compte-rendu rédigé par Marion de Lencquesaing)

Que faire de la première modernité dans les disputes d'aujourd’hui ? À propos de La Guerre du Goût de Philippe Sollers.

Philippe Sollers, dans la Guerre du Goût, utilise l’histoire de l’art et de la littérature comme moyen pour configurer un nouvel espace de querelle. Cette configuration dessine des camps en inventant des amis et des ennemis, des problématiques, etc. Cette façon de travailler les objets du passé nous permet de mettre en perspective l’impact des querelles étudiées par le groupe Agon, et nous oblige à nous demander ce qui peut advenir des querelles dans le présent.

La Guerre du Goût se présente comme un livre de querelles, composé d’articles et de chroniques du Monde, de préfaces de catalogues d’exposition et d’ouvrages littéraires.

Il y aurait une « guerre du goût » aujourd’hui patente, dans laquelle s’opposent le bon et le mauvais goût, ce dernier étant dominant ; il s’agit donc pour Philippe Sollers de faire campagne pour le « bon » aux dépens du « mauvais », lié à la Société du Spectacle à laquelle il s’attaque en tant qu’elle serait responsable d’un déclin de la littérature.

Les deux exemples extraits du livre sont le début de la préface et un extrait des Surprises de Fragonard.

Quatre idées principales sont à retenir de la Préface :

1. Sollers poursuit un même projet à travers une série de publications dont ce livre fait partie.

2. Ce projet est nécessaire, car « une crise a eu lieu » : Guerre du Goût, p. 11. Il faudrait d’ailleurs, note Alain Viala, voir de quelles manières sont associées querelles et crises.

3. En face de cette crise, il y deux attitudes possibles, soit « les audaces » et « les recherches », soit « la régression ». Suit une longue énumération où se côtoient « les diverses exténuations universitaires ou académiques », les « considérations scolaires sur la nature l’évolution du récit », mais aussi le « sociologisme réducteur complice de la stéréotypie du Spectacle », dessinant ainsi deux camps opposés.

4. Sollers cherche ainsi à construire une « histoire vivante et verticale, de l’art et de la littérature ; une échelle mobile, parcourable dans les deux sens » (p. 9), qui permettrait ainsi d’échapper à une histoire perçue comme linéaire, académique. Cette histoire verticale repose sur l’immédiate et « unique proximité du Même » (Nietzsche, par Heidegger), dans l’idée que ce qui revient à travers les siècles, c’est un seul écrivain, un seul artiste, citant Proust au passage ; « On voit les masses de préjugés qu’une telle hypothèse ébranle » (p. 10).

Une telle position va à l’encontre de la démarche d’Agon, puisqu’elle nie l’étude des querelles en contexte.

Sollers emploie le mot « guerre », qui est à interroger. Si Sollers désigne des adversaires (sociologues, Nouveau Roman, etc.) il ne nomme pas explicitement des personnes : sommes-nous par conséquent dans le cadre d’une querelle, d’une dispute, étant donné qu’elles ne donnent pas lieu à des réponses ? Parler de « guerre » mobilise néanmoins de façon évidente la notion de polémique.

Nous serions donc devant quelque chose qui ressemblerait à la transformation de tensions et de divergences, de forces opposées (entre les camps définis par Sollers, selon une opposition fantasmée amis-ennemis) en une querelle. Ce mécanisme nous permet de nous demander dans quel cas nous sommes nous-mêmes dans un processus de création de querelles. Il s’agit donc de savoir si cette querelle est une création de notre discours critique.

Il s’agit dans la présente analyse de ne pas se concentrer sur les motivations personnelles de Sollers (qui nous permettraient de penser le texte à la lumière de multiples moments d’énonciation parallèles), mais de rester dans le cadre précis d’une étude de polémique.

Suit une succession de remarques à partir des Surprises de Fragonard :

Que fait Sollers dans sa référence au passé, notamment dans sa façon de créer et de désigner ses ennemis (« le fascisme, la barbarie, le kitsch, le bazar de l’art moderne, la dictature des médias », p. 41) ?

Le XVIIIe siècle est défini par Sollers comme un « spectre » : « un spectre hante donc la conscience du Temps : le dix-huitième siècle français » (p. 40). Cependant, cette conception entre en contradiction avec l’« unique proximité du Même », qu’il théorise dans sa préface : le spectre n’est-il pas, au contraire, ce qui est autre, dans sa radicale différence historique ? Sollers nierait ainsi le concept de spectre tout en l’employant.

Pour Sollers, le XVIIIe siècle, c’est la France ; la France, c’est le XVIIIe siècle, c’est l’universalité.

Il y a là une polémique dont les enjeux idéologiques et politiques sont évidents. Il faudrait d’ailleurs songer, au cours de nos séminaires, à aborder ces enjeux.

D’un point de vue épistémologique, il s’agit d’une relecture de l’histoire ; toute querelle n’est-elle pas une relecture à échelle plus ou moins grande de l’histoire ?

Par ailleurs, ce refus des mises en contexte nous amène à nous interroger sur les enjeux de celles que nous effectuons : sont-elles objectives, sont-elles aussi une manière de redéfinir le passé ?

Chez Sollers, l’art, bien plus que les lettres, est davantage le révélateur d’une avant-garde. Jusqu’à présent, Agon a peu abordé la question des querelles dans le domaine artistique. Cela nous invite ainsi à reconfigurer les différents domaines dont on s’occupe dans le cadre de nos recherches.

La séance se poursuit par une discussion.