Lunch Seminar (7): Les querelles du génie

Intervenant: Jean-Alexandre Perras

Compte-rendu: Marion de Lencquesaing

L’articulation entre génie et querelle étudiée par Jean-Alexandre Perras s’inspire de son travail de thèse consacré à « L’exception exemplaire : une histoire de la notion de génie entre les XVIe et XVIIIe siècles », en partant d’un paradoxe, celui d’une figure d’exemplarité construite sur son statut d’exception. Dans sa thèse, Jean-Alexandre tente de montrer comment le génie a constamment posé problème, depuis l’entrée du terme dans la langue française. Il s’agit de dépoussiérer le lieu commun du génie (ce qui n’a pas toujours été le cas, et ce, tout en considérant que cela na va pas de soi pour une communauté de se reconnaître dans cette figure d’exception qu’elle a elle-même fabriquée ainsi), et de voir comment il advient dans son exemplarité. En effet, il y a une sorte de consensus sur le génie comme valeur, mais il n’y en a pas sur l’attribution, l’usage et la définition de cette valeur.

La thèse parcourt différents moments clefs, permettant de développer le paradoxe d’une exception exemplaire sur la longue durée, en dégageant trois rapports établis par le génie à différentes formes de régularité : un premier rapport au futur « génie » de la langue française, un deuxième à une régularité poétique, un troisième à l’avènement d’une esthétique comme forme de constitution de la connaissance sensible. Dans ce temps long (XVIe-XVIIIe siècles) se dégagent des moments exemplaires qui posent problème : des querelles sur le génie.

La question sera donc de voir pourquoi une telle notion, celle de génie, semble nécessairement susciter des querelles : qu’est-ce que cela nous dit de la formation des querelles, mais aussi de la formation du génie dans les débats ?

Il faut creuser le lien entre génie et querelles, notamment grâce à l’expérience agonistique des participants à ce séminaire : comment faire un usage des querelles, qui sont autant de querelles d’usage ? Il faut aussi voir comment on peut faire un usage historiographique des querelles dans l’étude d’une notion centrale dans la culture européenne, celle de génie. Enfin, il faut envisager la tension entre innovation et usage.

L’importance des querelles dans l’étude du génie sous l’Ancien Régime est un effet de période. Ce qui intéresse Jean-Alexandre dans le cas présent est une intrication spécifique plus qu’un effet général relevant d’une période.

Le dossier présenté ici est méthodologiquement différent de ce que l’on fait d’ordinaire au sein du groupe Agon : il n’y a pas une querelle mais un lieu constitutif de querelles, qui génère de manière variée des querelles. En effet, le génie n’engage pas que des querelles esthétiques ou poétiques, il fait aussi apparaître des tensions historiques, politiques, morales. Il faut tenter de définir des valeurs sans cesse réinvesties, parfois de manière contradictoire ; les querelles, qui sont des discours, semblent sans cesse véhiculer des enjeux se trouvant en-dessous ou à côté des discours, ce qui pose problème. De même, il faut se demander quel est le statut d’exemplarité de ces querelles dans la longue durée : il faut questionner la fonctionnalité historiographique des querelles à travers le prisme du génie.

Délimitation de la notion

La notion de génie n’est pas un concept désincarné transcendant les circonstances historiques, mais plutôt quelque chose de plastique, ainsi qu’un lieu commun, que l’on adapte aux circonstances. Il n’a pas toujours fait partie de l’usage. Il connaît une naissance querelleuse et pose problème depuis son inscription dans la langue. On peut parler de plusieurs génies, avec de nombreuses strates de signification.

« Génie » vient du latin genius, le dieu qui préside à la naissance de chacun, et vient aussi du latin ingenium, acuité d’esprit, force de pénétration, nature intrinsèque et disposition individuelle. Il y a une indécision sur le sens du mot, d’où une grande potentialité de circulation dans la langue (on dit la même chose à propos du beau au début du XVIIIe siècle : on ne peut le définir, on l’utilise à plusieurs desseins). Dans une logique agonistique, le génie ne se pense pas par degré, mais sous la forme d’une présence ou d’une absence (dans une satire ou une louange, on est soit dépourvu de génie, soit on possède le plus beau génie du monde : il n’y a pas de degré entre les deux). Mais selon les usages du temps, on peut envisager une variation de degré dans le génie (on peut avoir un « petit génie » dans l’exercice de tel ou tel art, de telle ou telle science, on peut avoir un génie « borné », etc.) : cette variation existe, mais pas dans les querelles.

Les choses sont plus compliquées quand le génie n’est plus seulement synonyme de talent mais aussi d’excellence. Il ne se décline plus sur mode de l’avoir (« avoir du génie ou non »), il peut se penser sur le mode de l’être (« être un génie »).

Il ne s’agit pas de définir ce qu’est le génie, mais de le comprendre comme une fonction du discours. C’est un problème aussi car ses modes d’apparition privilégiés sont agonistiques. Lieu symbolique de l’éminence, il est imposé par différents groupes défendant à travers lui différents types de revendications, politiques, morales, ou autre. C’est un lieu privilégié de bataille des Belles Lettres.

Dossier

Le génie est impliqué dans de très nombreuses querelles ; nous en verrons deux :

1. une querelle sur l’enrichissement de la langue française

2. une partie de la querelle des Anciens et des Modernes en France

On peut interroger la présence itérative du génie, ainsi qu’envisager l’effet de périodisation produit : le génie a une histoire dans la longue durée, ponctuée de moments de cristallisation, les querelles. On aurait donc un usage historiographique des querelles : peut-on affirmer que le génie génère des querelles, ou ces querelles sont-elles un effet de concentration historique produit par le critique pour ménager des moments exemplaires au sein de la longue durée du génie ? L’articulation génie/querelle est-elle nécessaire ou contingente ?

1. La première situation de querelle du génie s’inscrit dans la question de l’innovation linguistique au XVIe siècle, avec le Pantagruel de Rabelais (1532), dans lequel, selon les historiens de la langue, le terme de génie apparaît pour la première fois ; il s’agit d’une naissance problématique et avortée. Le terme « génie » aurait été greffé de la « mauvaise » manière, c’est à dire de façon pédante. C’est dans le chapitre VI du Pantagruel, « Comment Pantagruel rencontra un Limosin qui contrefaisoit le langaige Françoys », que le terme apparaît. Cette mauvaise manière d’opérer des greffes est qualifiée ici de contrefaçon, elle provoque une sorte de plaidoyer burlesque entre l’écolier limousin et Pantagruel.

Il est étonnant que les historiens de la langue aient attribué la paternité du terme à Rabelais, dans la mesure où on en trouve des occurrences avant 1532 ; il faut cependant dire que ces occurrences ne s’inscrivent pas dans un contexte aussi polémique qu’ici : cela justifie que l’on érige cette scène du Pantagruel en scène originelle. Il y a une véritable charge dramatique, qui cristalliserait les débats du temps, suffisamment forte pour constituer une origine.

Pantagruel et sa suite sont à Orléans, ils croisent un écolier tout joliet qui vient de l’université de Paris ; Pantagruel lui demande ce qu’il fait et l’écolier lui répond dans un mélange de français et de latin ou de latin macaronique qui le rend difficilement compréhensible :

« Nous transfetons la Sequane au dilucule et crepuscule, nous deambulons par les compites et quadrivies de l’urbe ; nous despumons la verbocination Latiale et, comme verisimiles amorabonds, captons la benevolence de l’omnijuge, omniforme et omnigene sexe feminin. »

L’écolier veut s’attirer des louanges ; la dispute commence à ce moment-là.

L’accusation est la suivante :

« Seigneur, sans nulle doubte, ce gallant veult contrefaire la langue des Parisiens ; mais il ne faict que escorcher le latin, et cuyde ainsi pindariser, et il luy semble bien qu’il est quelque grand orateur en Françoys, parce qu’il dédaigne l’usance commun de parler. »

On voit apparaître ici la relation entre l’usage et l’innovation.

La défense de l’écolier limousin est intéressante, il n’écorche pas la langue mais l’enrichit :

« mon genie n’est poinct apte nate à ce que dict ce flagitiose nebulon pour escorier la cuticule de nostre vernacule Gallicque ; mais vice versement je gnave opere, et par veles et rames je me enite de le locupleter de la redundance latinicome. »

La dispute prend une tournure violente : l’écolier devient une victime expiatoire dans un débat le dépassant largement. Ce procès ressemble à un procès en sorcellerie, dans lequel l’écolier doit prouver son orthodoxie linguistique devant un Pantagruel juge menaçant : quel est ce discours ? Sont-ce les proférations d’un hérétique ?

Rabelais reprendrait ici les débats de son temps sur la bonne manière d’enrichir la langue, en stigmatisant à outrance les positions des deux camps : d’une part l’orthodoxie lexicale la plus pure, d’autre part, l’enrichissement le plus déréglé de la langue. Sa position n’est en outre pas claire dans le débat : la forme burlesque du plaidoyer brouille sa posture (s’il y en a une). On tournerait alors simplement en dérision la querelle linguistique majeure du temps. On ne peut pas vraiment dire que les positions de Rabelais et de Pantagruel se superposent ici, Rabelais étant un formidable inventeur de mots nouveaux.

Un autre élément important est la façon dont le génie est employé comme argument dans la dispute : l’écolier s’appuie sur lui pour prouver qu’il ne contrefait pas la langue latine mais qu’il la « locuplete ». Malheureusement, le terme n’est pas encore en usage ; l’écolier fonde donc son autorité à innover dans la langue sur son génie alors que cette figure-là est elle-même une innovation. L’écolier, innovateur indiscret, provoque la colère de Pantagruel, en se plaçant à contre courant des recommandations de l’époque concernant les indiscrétions dans la création verbale (« l’ingénieux escriteur » de Pelletier qui doit innover mais de façon discrète).

Le terme « génie » est donc né au milieu d’un conflit entre l’innovation et l’usage.

2. La seconde querelle examinée ici est celle des Anciens et des Modernes, comprise comme un prolongement de la crise de l’exemplarité mise en jeu à la fin de la Renaissance.

On connaît le poème du Siècle de Louis le Grand de Charles Perrault lu à la séance extraordinaire de l’Académie le 27 janvier 1687, dont voici les premiers vers :

« La belle antiquité fut toujours vénérable ;

Mais je ne crus jamais qu’elle fût adorable.

Je vois les anciens, sans plier les genoux ;

Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous ;

Et l’on peut comparer, sans craindre d’Être injuste,

Le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste. »

Ce poème apologétique est une instrumentalisation à la fois de la figure du roi dans le cadre de cette querelle (ce serait ne pas être courtisan que de ne pas dire que le siècle de Louis XIV est le plus grand siècle qui soit) et de la querelle dans la cour que fait Perrault à Louis XIV (il a perdu son principal protecteur, Colbert, en 1683).

Il serait intéressant de se concentrer sur une pièce moins connue : l’épître en vers intitulé Le Génie, dédiée à Fontenelle, rédigée entre 1686 et 1687.

Ces deux textes ont connu des éditions individuelles en 1688, avant d’être publiés ensemble dans la première édition des Parallèles des Anciens et les Modernes un peu plus tard en 1688.

Le génie selon Perrault est le je-ne-sais-quoi qui fait admirer les grandes œuvres et ceux qui les produisent, et qui les rend inimitables. Fontenelle ici, qui est le Fontenelle des Églogues et des Dialogues des morts, est l’exemple de celui qui se passe de l’imitation des Anciens.

Une nette allusion à Boileau est faite dans cette épître, comme celui qui dit qu’il faut imiter les Anciens : il retourne contre l’auteur les premiers vers de l’Art poétique. Il attaque Boileau sur le génie en suggérant qu’il n’en a pas et en redéfinissant la valeur qu’il associe lui-même au terme.

Boileau, dans le Traité du Sublime, fait du génie des Anciens un principe d’émulation (chapitre XIII, « De la manière d’imiter » et chapitre XI, « De l’imitation »). Perrault propose tout autre chose, dans son Parallèle des Anciens et des Modernes, sorte de mise en scène contrôlée de la querelle sous une forme amicale. Le génie entre dans l’argumentation de Perrault, et dans la querelle plus généralement.

On serait tenté ici de définir un « génie des Anciens » et une « génie des Modernes » et de chercher à camper des positions idéologiques à travers le génie : on aurait un génie immédiat chez Perrault et médiatisé par les Anciens chez Boileau ; de là, on aurait un différent usage du passé, topique chez Perrault, régulateur chez Boileau. On peut aussi insister sur le caractère construit du génie chez Boileau, valeur attribuée aux Anciens ; chez Perrault, il s’agit plus d’un pouvoir créateur, de refonte des matériaux du passé, qui permet de leur attribuer une nouvelle valeur. Malgré ces oppositions, dans les deux cas, on est proche d’un idéal d’une imitation digestive qui est défendue par les humanistes. Sur quoi porte donc la querelle ? Par-delà les querelles du génie, il y a des enjeux politiques, dont le génie n’est que l’instrument.

Discussion

- Rabelais vient du limousin : est-ce que ça introduit la question de la langue d’oc dans la réflexion ?

- J-A. P. A priori, un limousin ne peut pas être un pédant, parce que ce serait un lieu commun à l’époque de dire que le limousin est une région extrêmement éloignée et puis ce serait l’opposé du langage savant et pédant de la Sorbonne.

Il y a aussi une querelle entre les parlers régionaux qui est en cours ici.

L’orthodoxie irait jusqu’à respecter l’autochtonie de la langue ; on est limousin donc on parle limousin.

- En l’occurrence on est limousin donc on ne parle pas latin.

- Une remarque d’occitaniste : quand il parle limousin, il ne parle pas limousin… L’occitan que les lettrés peuvent connaître, ce n’est pas celui-là, et qui est pourtant du limousin ? L’occitan comme langue écrite n’existe que par artifice, dans une variante du sud du limousin, qui est celle de Guillaume IX d’Aquitaine, qui a servi de matrice pour fabriquer la langue littéraire occitane, de même que le français est une variante parisienne qui a pris la place du picard et du reste. Ce qui est frappant, c’est que ce limousin est parfaitement intelligible d’un point de vue occitan, mais ce n’est pas la langue de Guillaume IX et de ses successeurs. C’est donc une fabrication de Rabelais, mais à partir d’une connaissance qui n’est pas de l’occitan ; il jongle pour que le lecteur, qui a vu du latin macaronique, puisse comprendre ce qui se passe avec l’occitan tel qu’il est là.

- J-A. P. Ça irait dans le sens de l’effet burlesque.

- Il y a quelques oppositions en jeu là : à qui appartient la langue des érudits ?

Il y a une opposition entre le langage usité et le langage qui est contrefait. Il faut mettre un peu plus l’accent sur le mot de « contrefaire » : la faute du limousin, s’il y a faute, c’est de contrefaire quelque chose, car, puisqu’il est limousin, il doit parler limousin ; s’il était parisien, il devrait parler parisien, etc.

C’est une scène à mettre en balance avec celle de l’arrivée de Panurge, où il y a toutes les langues, où l’on ne sait pas quelle est sa langue maternelle ou naturelle. « L’usance commun de parler », c’est la langue avec laquelle on est né.

- J-A. P. C’est là que je fais fonctionner le terme de « contrefaire » ; la défense de l’écolier est très bien construite : il dit qu’il enrichit et non qu’il contrefait. Le masque porté ici est celui du grand orateur, de Pindare, la pédanterie.

« Génie » est perçu ici comme le comble de l’artifice, comme un masque.

- Comment traduire cette phrase ? [« Mon genie n’est poinct apte nate à ce que dict ce flagitiose nebulon pour escorier la cuticule de nostre vernacule Gallicque ; mais vice versement je gnave opere, et par veles et rames je me enite de le locupleter de la redundance latinicome. »]

- J-A. P. Mon génie n’est pas de naissance disposé à ce que dit cet injurieux vaurien…

- Il faut s’arrêter à « apte nate » : il y a une association très précise entre génie et disposition naturelle.

- J-A. P. C’est un mélange entre ingenium et genius qu’il fait ici. C’est propre au génie de la langue française ; en italien, on a genio et ingenio. Le français a enlevé de sa force au terme « engin »…

- Est-ce que « apte nate » existe déjà comme colocation ?

- J-A. P. Oui, chez Boèce.

- Parce que c’est cela que Rabelais fait souvent : quand il produit un mot nouveau, il le fait en contact avec une autre colocation existante. Par exemple, « exotique », la première fois qu’on le lit, c’est chez Rabelais ; il dit « exotique » et « pérégrine » ; le second existe déjà, le premier pas encore. Il a une définition que se fait pas jumelage.

- Ici, on a une scène de dispute, dans laquelle apparaît pour la première fois dans un texte imprimé le mot « génie ». Dans une scène de dispute, il faut des mots forts ; « génie » apparaît comme une ressource. On a une création de fiction et création par introduction d’un mot selon les nécessités de cette scène : Rabelais n’a pas fait cette scène pour placer le mot « génie », mais il a trouvé le mot dans son latin, dans son esprit, dans sa mémoire, en fonction des besoins de cette scène. Cela induit une apparition du terme qui aura toute une histoire. On aurait une création lexicale dans le français, qui serait un accident à l’intérieur d’une dynamique portant sur des questions de langue. Cela problématise autrement l’usage qui est fait de la notion de génie. De la même façon dans l’autre scène (avec Perrault), tu as une scénographie d’occupation du terrain dans le champ littéraire à un moment donné qui doit être prise du côté d’une scène de dispute. Ils se disputent, non à propos du génie, mais à propos d’autre chose. La querelle des Anciens et des Modernes porte non sur le talent mais sur l’antériorité (les Anciens ont vu en premier).

- Dans la querelle des Anciens et des Modernes, on trouve probablement des acceptions de génie analogues à celle de l’extrait de Rabelais (« avoir un génie propre »). Dans la querelle en question, il y a l’affirmation que la modernité a une supériorité (par exemple avec Descartes), mais aussi la relation avec la modernité comme mode. Dans quelle mesure le génie comme avoir un génie propre à un lieu et à une époque paraît dans la querelle ?

Ce qui est frappant (en lien avec le spectacle Dream on, où la question est capitale), c’est la question de Pantagruel sur l’origine : « dont es-tu ? ». C’est la question querelleuse la plus forte qui existe. Le rapport à la naissance est très important ici. Dire à Fontenelle « tu es un génie de naissance », cela permet d’échapper à cette assignation, la naissance ne donnant plus un génie propre et limité au lieu de naissance mais permettant pour le génie d’échapper à cela.

- J-A. P. Pour l’écolier limousin, on voit bien que cela ne fonctionne pas : après que l’écolier a dit « mon génie », c’est-à-dire « je », tout ce qui vient c’est « dont es tu ? » C’est le « génie du lieu » qui prime sur le génie singulier.

- Avec « apte nate », l’écolier s’enferme dans le génie du lieu, puisqu’il essaye de singer un autre lieu, il n’arrive pas à échapper à son lieu.

- J-A. P. Il y a une médiation du génie : « mon génie […] apte nate » et non « je ». Mon analyse tourne autour de cela : pourquoi pas « je » ?

- Dans la phrase suivante on trouve « je ».

- Mais le génie, c’est sui generis : vous refusez la famille, il y a un refus de généalogie : si c’est quelque chose d’inné, on ne l’a pas hérité de ses parents non plus. C’est autogénéré. C’est un refus de la question « de qui vous tenez ? »

- J-A. P. Cela lui permet d’aller plus loin dans le passé et dans l’avenir : il recycle des termes latins pour en faire des choses nouvelles (« locupleter »).

- Attention : le limousin dit qu’il n’est pas apte à écorcher le français, et après à l’opposé qu’il travaille pour s’employer à l’enrichir avec le latin ; il y a l’opposition entre la disposition naturelle et le travail, entre le génie et le travail. On retrouve cela chez Boileau : il faut être touché par l’enthousiasme puis ensuite travailler. L’écolier limousin, c’est Boileau !

Ce, avec une problématique très intéressante : ici, on est en train de nous dire « il ne faut pas travailler la langue, il faut la laisser vivre, et non pas faire des greffes ».

- C’est à l’opposé de ce que dira la Pléiade.

- J-A. P. J’ai pris l’écolier limousin pour un possible Du Bellay. Du Bellay qui utilise aussi le terme « génie » sous la forme geniusi : « Ce que les Latins auraient appelé genius. »

- C’est un passage génial pour la problématique de la création : on apporte un mot nouveau dans la langue, au moment où on dit qu’il ne faut pas forcer l’introduction de mots nouveaux dans la langue. C’est une configuration étrange. Rabelais fait-il une invention ou constate-t-il une pratique existante ?

Tout cela à propos de la faculté d’invention, du droit à inventer ou pas.

On oublie toujours, avant la querelle Perrault/Boileau, la querelle Boileau/Desmarets : il y a quelque chose qui court de façon souterraine, qui était très explicite alors, et qui s’est retrouvé redoublé par l’intervention des jésuites : ce que dit Desmarets, c’est un « je suis moderne car je suis chrétien », ce qui n’est pas le cas des Anciens ; donc, les Modernes sont supérieurs aux Anciens car ils sont chrétiens. Cet arrière-plan là est lourd de conséquences ; on est obligé de faire intervenir la question de la grâce, la grâce qui fait les prophètes. Le grand cas, ça n’est plus le poète, c’est le prophète, le poète au service de la vérité religieuse.

- Quand Thomas Urquhart traduit ce passage au milieu du XVIIe siècle, il donne au limousin un peu de aberdonian, la marque de sa propre langue.

La question « qu’est-ce que la langue française par rapport aux langues régionales ? » se rejoue dans la traduction anglaise.

More information

Event

Lunch Seminar: Querelles sur le "génie"

Date

24 May 2013

Download the report