Méthode

En termes de méthode, les cas, querelles, controverses et disputes sont envisagés selon deux principes :

  • Le principe d'attention aux données endogènes conduit à reconstituer des catégories de pensée telles qu'elles étaient, non pas dans l'illusion qu'on peut entièrement y parvenir, mais dans le souci d'une « archéologie de la culture ». En termes pratiques, cela signifie que l'inventaire portera avant tout sur des corpus et faits qui ont été en leur temps qualifiés de querelles, cas, batailles de plume ou d'esprit, disputes, controverses.

  • Un principe de compréhension lié à cette démarche : plutôt que de poser une définition à priori, il s'agira de construire les paramètres à partir des corpus et faits observés, et en progressant à cette fin selon trois cercles concentriques : le premier, constitué par des « cas » désignés comme tels, consiste à analyser en particulier des cas qui ont donné matière en leur temps à disputes et querelles ; le second à dresser l'inventaire analytique des querelles ; le troisième à une mise en contexte que vise l'étude des disputes et controverses et de leurs substrats institutionnels et culturels. Ce sont donc les circulations et les imbrications que nous souhaitons suivre..

Les travaux de l’équipe reposent sur un principe méthodologique, déjà testé, selon lequel ce n'est pas en abordant les concepts selon des définitions fixes mais plutôt en se confrontant aux incertitudes et en explorant les limites, les marges, les frontières, et en particulier en examinant les « cas » litigieux que l'on peut saisir les processus de création.

La dispute peut prendre un caractère singulier, s'articuler autour d'un objet d'étude, d'un cas — entendu ici comme catégorie du Droit —, et par extension valoir comme principe de compréhension d'une partie de la création littéraire. Elle s'étend aussi à des faisceaux de cas, à des questions de pratiques ou de genres, de définitions ou de remises en cause. Si le Droit fait figure de matrice pour comprendre la notion de « cas », il en va de même pour celle de « querelle » qui prend ses origines dans les conflits portés devant les tribunaux — ainsi de la querelle des femmes à la Renaissance qui commence par un projet de nouveau contrat de mariage. Or la dispute se manifeste préférentiellement dans cette période sous l'espèce de la querelle, qui structure la vie littéraire française et peut-être aussi la vie culturelle anglaise. L'essor des querelles à l'époque révèle des enjeux plus vastes, des tensions qui dépassent la polémique autour d'une pratique ou d'un objet théorique, et qui relèvent des controverses. Quoique ce terme renvoie le plus souvent à des questions religieuses, il est indéniable que dans la période ici envisagée les controverses scientifiques sont partie intégrante de l'espace général des débats. Et le lien entre le cas, la querelle et la controverse se noue dans la rhétorique et les formes de l'agôn. Si la disputatio est une pratique rhétorique qui occupe une place centrale dans la scolastique médiévale, avec ses règles strictes, la controversia, forme élaborée de la declamatio, appartient également à la rhétorique : complémentaire de la suasoria, elle peut se définir comme débat juridique imaginaire, où un élève doit argumenter soit dans le sens de la loi soit dans le sens opposé, à partir d'une loi qui lui est donnée et d'une situation où celle-ci est enfreinte. La controversia repose donc sur l'utilisation du cas. Les passages et les articulations entre ces différents domaines situent les enjeux de la réflexion que nous souhaitons mener. De tels enjeux exigent bien sûr que ces notions soient saisies et construites dans leur réalité endogène.

Envisager une chronologie longue, de la fin de la Renaissance à la fin du XVIIIe siècle, permet d'étudier des mutations sur plus de deux siècles, en repérant des moments de crise autant que des évolutions lentes, au cours de cette période où s’est opérée la distinction des disciplines jadis fondues dans les « Lettres ». Cette chronologie longue permet ainsi de mettre au jour les transformations des discours et des pratiques intellectuelles et culturelles.Pour rendre compte de ces transformations, il est nécessaire de penser la dispute en partant de la catégorie rhétorique qu'elle constitue. Par son origine rhétorique, elle s'inscrit en effet dans une pratique discursive réglée. On peut formuler l'hypothèse qu'en la considérant dans son évolution historique, certaines des règles qui la gouvernent se trouvent transférées aux principes d'intervention dans les débats autour de la création. En retour, si la dispute repose sur des dispositifs pragmatiques repérables, leur analyse éclaire les modalités de la vie littéraire, structurée – en ce temps au moins, mais plus largement sans doute — par les débats et les querelles.

Intégrer une perspective comparatiste, dans sa double dimension de comparaisons entre les langages et les arts, d'une part, entre les aires culturelles d'autre part, permet d'articuler spécificité et généralité des facteurs culturels et épistémologiques, et ce pour une époque où la circulation des idées (par le biais des correspondances en particulier) et des hommes acquiert une importance cruciale. Ainsi, la compréhension de la querelle des Anciens et des Modernes peut être transformée en intégrant par exemple à l'analyse sa dimension musicale et en réfléchissant en parallèle à ses modes de transposition et d'interprétation en Angleterre, après la France. De même, l'étude de la querelle du matérialisme en philosophie offre de nouvelles perspectives si on réfléchit à sa mise en œuvre au sein du roman européen. Les modes d'argumentation philosophique rejoignent alors les discussions et débats « littéraires », d'autant qu'ils s'appuient également sur les réseaux de correspondance de la République des Lettres. Ce projet est donc nécessairement comparatiste, pluridisciplinaire et international.