De la maison de ville à la maison royale: "Le Bourgeois gentilhomme" de Molière

Intervenant: Jörn Steigerwald

Cette communication s’interroge sur la représentation de la maison dans Le Bourgeois gentilhomme, en analysant la relation présentée entre les pratiques sociales et esthétiques comme signes de pouvoir. En répondant à cette question, qui a pour arrière plan la dispute entre l’Arioste et le Tasse, cette présentation vise à montrer qu’il s’agit d’une relation qui ne met pas seulement en scène le modèle de la maison hérité de la comédie érudite de la Renaissance italienne, à savoir le modèle de l’« oikos », mais qui présente plutôt le modèle actuel de la maison de ville selon les règles du « portrait du roi ». La maison se transforme ainsi en un espace à la fois privé et public, qui redouble donc le modèle de « la cour et la ville » en même temps qu’il évoque le fantasme du corps royal, un fantasme qui renvoie selon René Demoris, à une image du roi comme âme et comme tête du corps-État, une tête qui voit tout, qui sait tout et qui, c’est fondamental, met tout en ordre.

De plus, l’importance de la maison résulte de l’attention portée aux pratiques sociales et esthétiques de « la cour et la ville ». Selon les règles de celles-ci, c’est seulement dans sa pratique sociale qu’un honnête homme, voire galant homme manifeste qu’il est vraiment honnête ou galant. Ce qui convient au simple sujet du roi doit s’appliquer encore plus au roi qui montre, lui aussi, sa majesté en sa pratique sociale et esthétique : la noblesse oblige ainsi à restituer toutes les transgressions dans les maisons de l’état, mais aussi, et surtout, à régler toutes les intempéries de la vie du roi. La mise en scène théâtrale de la maison produit donc un double espace fictif qui montre, d’une part, les sujets du roi dans la présentation de leurs pratiques sociales et, d’autre part, l’image du corps-royal dans la représentation de sa pratique esthétique. Par conséquent, l’esthétique galante de la comédie-ballet émerge de l’interaction des pratiques sociales et esthétiques de sorte qu’elle produit un signe évident du pouvoir royal.

Pour mettre en évidence la configuration de la maison dans l’esthétique galante du Bourgeois gentilhomme il faut tirer au clair la conception de la maison dans la comédie-ballet et esquisser le modèle de la maison royale qu’y présente Molière – une maison qui superpose un espace concret avec deux espaces figurés, celui de la distinction et celui des affaires royales. Pour cela, cette intervention esquisse d’abord la construction d’une maison de ville et examine de quelle manière ce modèle est présenté dans la pièce. Puis elle se concentre sur les pratiques sociales des bourgeois et des nobles, car ces pratiques problématisent le concept de la distinction par la mise en relief de l’interaction entre le commerce, l’affaire et l’alliance. Elle se concentre enfin sur la constellation de la maison royale qui intègre les pratiques sociales des protagonistes et la pratique esthétique de la Troupe du roi en analysant la turquerie comme un modèle de plaisir royal, c’est-à-dire comme un principe donné pour l’amusement du roi par ses sujets.

Il s’agit de montrer, en fin de compte, comment Molière intègre deux esthétiques auparavant antagonistes, celle de l’Arioste et celle du Tasse, dans une conception nouvelle de la comédie galante qui produit une nouvelle comédie  : une comédie royale.