Une querelle peut en cacher d’autres: agôn, création et reconfiguration politique et culturelle dans la polémique contre les validos de Mariana de Austria (1668-1677)

Héloïse Hermant se penche sur une querelle entre Don Juan José, bâtard royal, fils de Felipe IV, héros qui a pacifié les révoltes de Naples et de Catalogne (ce qui lui valut le titre de vice-roi de Catalogne) et les favoris royaux. En 1665, lorsque meurt Philippe IV, le roi n’a que quatre ans. Les autres personnages principaux de cette querelle sont d’une part Nithard, un jésuite confesseur et conseiller politique de la régente, de l’autre Valenzuela, le válido de la Reine, considéré comme un parvenu par les élites nobiliaires. Don Juan, dans les deux épisodes, se montre comme le seul à pouvoir rassembler la noblesse et remettre l’Espagne sur pied. Cette lutte est marquée par des affrontements textuels violents entre deux groupes, les Juanistas et les Marianistas. Le scandale renvoie à quelque chose de condamnable et d’inédit. La controverse se tourne en dispute et enfin en guerre, sans que le langage guerrier ne débouche, au demeurant, sur un affrontement physique. Deux épisodes de la querelle voient s’affronter d’une part Nithard et Don Juan, puis Valenzuela et Don Juan. En 1669, Nithard est renvoyé et Don Juan devient vicaire général d’Aragon ; en 1677 Valenzuela est renvoyé et Don Juan devient premier ministre. Une question identique est posée lors de ces deux épisodes et concerne le partage de la souveraineté avec la noblesse. En 1669, une solution pragmatique est trouvée et, en 1677, la solution définitive est institutionnelle. Pour les acteurs il s’agit de la même querelle : les textes sont réemployés, les mots simplement changés pour introduire une continuité. La querelle évolue selon les publics visés. Les textes sont très variés (de façon similaire à la Fronde pendant ses plus fortes années) et occupent tout le champ éditorial. Le langage métaphorique et le raisonnement analogique prennent leur sens dans l’effet de cumul. Ce sont en particulier une série de Lettres ouvertes imprimées qui prennent la défense de la cause de Don Juan et établissent sa défense comme équivalente à la défense du bien commun. A la fin 1675, Valenzuela est nommé “Grand d’Espagne”, ce qui provoque l’irritation des élites traditionnelles. Valenzuela est exilé et Don Juan est nommé Premier Ministre. Ces disputes verbales (orales et écrites) reposent sur des rapports de forces et les repensent. Elles rappellent les mazarinades, mais ne donnent pas lieu à des prises d’armes, entretenant par là la fiction de la légalité. La machine discursive polémique débouche sur une création institutionnelle (la création du poste de premier ministre) et un décret qui instaure un régime monarchique nobiliaire. La dispute donne lieu à logorrhée parce que la publicisation des attaques passe par la désingularisation de la cible (le Bien commun est posé comme enjeu plutôt que la figure de Don Juan) ; d’autre part, l’élargissement des publics conduit à un certain emballement de la querelle. Les pratiques sociales et intellectuelles sont bien réglées par l’usage de la quæstio chez les jésuites qui soutiennent Nithard, et que pastichent les adversaires. La médisance écrite est, d’autre part, largement pratiquée par les nobles. Les formes discursives relèvent, d’une part, du registre dialogique de la polémique et, d’autre part, du traité. Ainsi s’instaurent différents régimes de vérité qui soulignent les liens entre culture et rapports de force (politique, religieux, éthique). Les raisons d’adhésion et de postionnement dans la querelle sont multiples, et posent, en fin de compte, la question fondamentale de la monarchie exécutive. Des portraits de Valenzuela en antinoble émanent du groupe nobiliaire qui défend sa place. Le thème du droit de résistance et du partage de la souveraineté se dessinent également. La querelle peut se régler momentanément, mais la clôture de la querelle est tranchée par l’invention d’une norme (une nouvelle formule politique par exemple, telle que l’instauration du poste de premier ministre). Lors de la deuxième phase, dans un premier temps, la candidature de Don Juan est rendue crédible : c’est l’élaboration du valimiento par le mérite. Dans un deuxième temps c’est le jeune roi qui est l’objet de tous les éloges, en même temps que le populus est pris comme témoin. Enfin, la querelle conduit à un débat sur les origines de l’histoire espagnole, divers groupes défendant des intérêts divergents. Cette querelle conduit donc à repenser l’architecture de l’Espagne. La création est alors le fruit d’actions, de réactions et de réagencements successifs. Apparaissent alors différents éléments importants : des enjeux qui relèvent de la politique (nécessité d’une meilleure cour politique et de repenser le lien entre le roi et ses sujets), de l’arbitrage (comment trancher la querelle), du type d’écrit mis en jeu (la satire, en particulier, permet de soigner avant que les problèmes ne dégénèrent), de l’utilisation et de la sanction du populus. Le recours aux lettres ouvertes et aux libelles a permis à Don Juan de résister sans désobéir : l’utilisation de publics divers permet d’exercer une pression sur le pouvoir (y compris par la menace de la rébellion) mais sans jamais franchir les lignes.

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Date

5 Décembre 2014